CONRAD MALTE-BRUN, SUR L'ANDALOUSIE
Cette vie errante fait les délices de la population demi-arabe du midi de l'Espagne. Partout on retrouve des traces du caractère maure. C'est surtout dans le royaume de Murcie, et dans la vallée ou est bâtie sa capitale, que M. Cook l'a remarqué : là le sang africain est si pur que l'on peut, dans beaucoup d'occasions, reconnaître les tribus d'Alger et de Tunis desquelles les habitans descendent. De même, à Cadix, on retrouve le véritable oeil maure ou arabe; on le remarque également dans plusieurs autres cantons de l'Andalousie ; il est grand et très plein, s'étend quand il est animé, et est placé dans un orbite dont la dimension surpasse celle à laquelle nous sommes accoutumés. Son origine est incontestable, et il répond exactement à la description de celui que chantent les poètes arabes. Du reste, la physionomie maure n'est pas confinée, dans la classe inférieure, ou moyenne de la société, on l'observe dans tous les rangs en Andalousie; malgré l'orgueil de la pureté du sang, le mélange est reconnaissable dans les premières familles.
Nouvelles annales des voyages (1834), Conrad Malte-Brun, éd. Gide fils, 1834, t. 2, p. 232
Les conquérans musulmans de l'Espagne, mêlés de Maures et d'Arabes, y apportèrent la culture des sciences, l'amour de la patrie et l'esprit chevaleresque. De là nous sont venues la rime et la romance, qui ont marqué l'aurore du bon goût dans les provinces méridionales de la France. Les mathématiques, l'astronomie, la philosophie, la médecine et l'art vétérinaire, furent enseignés aux académies arabes en Espagne. Là s'élevèrent ces monumens magnifiques de l'architecture arabe, mélange fantasque de l'architecture des Grecs et des Persans. C'est l'architecture arabe qui a embelli l'architecture gothique, avec laquelle on l'a souvent confondue. [...] Cest parmi les progrès du luxe et de la civilisation arabes que se forma cet esprit de chevalerie errante, mélange romanesque de sentimens d'honneur et de délicatesse, de religion et d'amour. Mais la chevalerie espagnole-chrétienne, entée sur la chevalerie musulmane-bédouine, était à cette dernière ce qu'est le fruit de l'arbre cultivé à celui du sauvageon. De là naquit le goût des tournois, des joûtes, des cours d'amour, des expéditions romanesques et des duels. Ainsi le contre-coup du choc dont l'Islam renversa les anciens empires de l'Orient, a donné en Europe le branle aux esprits. Ainsi, par un enchaînement de causes éloignées et prochaines, nous devons une partie de notre culture et de l'esprit de nos siècles de chevalerie au mahométisme, qui a étendu son influence non seulement sur les peuples chez lesquels il s'est établi, mais même au-delà de leurs limites jusqu'au sein des nations européennes, qui en conservent encore aujourd'hui le témoignage irréfragable dans le nombre de mots arabes adoptés qui se trouvent dans chacune d'elles.
Annales des voyages de la géographie et de l'histoire (1812), Conrad Malte-Brun, éd. P. Buisson, 1812, t. 17, p. 232
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire