LE MYTHE DES CHORFAS AU MAROC ET EN ALGÉRIE.
On entent souvent le cette phrase " Je suis chérif " en particulier lorsqu'on aborde l'histoire du Maghreb. Et gare à ceux qui font la moindre critique, car ce mot leur reviendra en pleine figure comme un boomerang tôt ou tard, et certainement plus tôt que tard. Mais qu 'est-ce qu'un chérif, شريف ? D'après Van Arendonk, la racine du mot "Charif" (plur. Chorfa) exprime l’idée de s’élever, de dépasser. Le mot désigne l’homme libre qui, grâce à son ascendance composée d’ancêtres glorieux, peut prétendre à une situation prédominante. Et dans la mesure où on admet que les belles qualités se transmettent aux descendants, les Chorfa se considèrent comme des gens hors pair (Ahl El Fadl) auxquels on doit opposer le déchet et la tourbe déréglée (Al Aradhil). Mais grosso modo le cherif est un descendant du prophète de l'islam par sa fille Fatima via l'un de ses deux petits-fils, El Hassan et El Houssein. Sous l’influence des idées alides (les descendants du calife Ali que certains historiens classent dans la catégorie des potentiellement shi'ites) et shi’ites (proprement dit) et plus tard les abassides, le fait d’appartenir à "La Maison du Prophète, Gens de la Maison, أهل البيت" était devenu, avec le temps, le signe révélateur d’une noblesse particulière. Pour les Shi’ites, elle concernait le calife Ali, et la fille du prophète (la femme du calife Ali) Fatima et leurs fils Al Hassan et Al Hussein ; alors que pour les Abassides, elle englobait toute la famille de Mohammad : aussi bien ses descendants que ses ascendants.
À la suite des persécutions des Alides par les Abbassides, les Chorfa hassanides et husseïnides s’établirent en Algérie puis au Maroc dès le début du VIIIème siècle. Al Maqarri signale la présence dès cette époque, des Hassanides à Volubilis (les Idrissides) et à Tlemcen principalement vers le village d'Ain El Houte (les Souleïmaniens, royaume Souleïmanide, en rapport avec Soleiman Ibn Abde Allah El Kamel frère d'Idriss 1er). Vers le début du Xe siècle, des dynasties Amazighe, essentiellement zénatiennes, arrivèrent au pouvoir au Maroc et en Algérie, et ce, en pleine lutte d’influence politico-idéologique entre Omayyades sunnites d’Espagne et Fatimides shi’ites de Tunisie. La position principalement pro-fatimide des Chorfa idrissides leur valut l’inimitié des souverains berbères gestionnaires du sunnisme malékite omayyade. C’est ainsi qu’ils furent chassés de Fès dès 925. Quant à Tlemcen, le petit et fragile royaume Souleïmanide fut détruit par les fatimides sous l'action des Zirides de Senhadja. Au Xe siècle, après la fondation de la dynastie des Ifrinides dont la capitale était Tlemcen sous le commandement du chef Abou Qurrah El Ifrini (le parcours de cette dynastie a été brièvement signalé ici sur la groupe lors d'une précédente publication), la guerre contre les fatimides fut déclarée avec l'appui des Omeyyades de Cordoue. Par la suite, la montée des Almoravides achève la dynastie des Beni Ifren. On n’entendra parler d’eux (Idrissides du Maroc et les Souleïmaniens de Tlemcen) qu’au XVe siècle sous la dynastie mérinide.
Socialement et politiquement, on peut dire que le XVe siècle mérinide fut "le siècle des Chorfa". Le réveil européen, les victoires incessantes de la Reconquista en Andalousie, et l’effritement du pouvoir Amazighe zénatien (principalement mérinide et zianide), allaient être à l’origine de ce qu’on pourrait appeler "le mouvement chérifien". Étrangement, durant la période mérinide au Maroc, et en 1437 il y eut une découverte miraculeuse ; celle du corps du Chérif Moulay Idris II (mort en 828), retrouvé intact plusieurs siècles après sa mort. La zaouïa de Moulay Idris II est un lieu sacrée à Fès elle a été construite au IXe (donc vide) siècle puis renouveler 1437 après la découverte de son corps !!!.
Alors, pourquoi cette affection particulière des mérinides (et des autres après eux) envers " les Chorfas " ? Je rappelle que durant les mérinides, les chorfas profitaient d'un statut particulier : une pension généreuse leur a été attribuée (un salaire), ils n'étaient pas imposables, ils ne participaient pas à la guerre, ils bénéficiaient d'avantages matériels (terres agricoles, maisons...) Ce fut la cas aussi à Tlemcen, sous la domination mérinides c'est pour cette raison ces derniers avaient une attention pour les saints de cette ville, d'où la restauration et l'édification de nombreux mausolées-mosquées tlemceniens tels que Sidi El Haloui, Sidi Abou Mediene, Sidi Abou Ishaq El Teyyar...On se demandait, comment Sidi Abou Mediene avait détrôné Sidi El Daoudi, le premier saint patron de Tlemcen...En voici une réponse.
Toute cette politique car la dynastie mérinides ne put faire face à ses tâches du moment, à savoir mettre sur pied une administration et un pouvoir acceptés par tous les Marocains, et les tlemceniens. Dans ces conditions socio-politiques, on allait assister à un réveil religieux qui allait s’exprimer par la prolifération des "Zaouia" dont la plupart des chefs allaient revendiquer l’ascendance chérifienne et la possession de l’effluve sacrée (la baraka) nécessaire à exorciser tous les maux de la société. C’est dans cette atmosphère que de nombreux escrocs ce sont précipités pour produire de faux arbres généalogiques afin de profiter d'un système de bakchich et de pot-de-vin mais aussi pour arriver au pouvoir après la chute des mérinides.
L’intérêt ainsi porté aux Chorfa n’était pas neutre. C’était à la fois parce que le pouvoir sentait le besoin "d’isoler" ses concurrents potentiels ou réels dans l’espace politique ; et parce que le Charif, contrairement au non Charif, a des droits que lui reconnaît la société en contrepartie de certaines fonctions qu’il est appelé à accomplir en son sein. En effet, les Chorfa, en tant que descendants du Prophète, seraient titulaires de la "Baraka", une sorte d’effluve sacrée leur permettant d’agir sur les êtres et les choses, et d’intercéder au profit des musulmans auprès de Dieu et du Makhzen. Ainsi, outre le fait qu’ils pourraient être à l’origine d’une bonne récolte, d’un enfantement, ou encore de la guérison d’une maladie, les Chorfa interviennent effectivement auprès du Makhzen au profit des délinquants ou de ceux qui refusent son autorité. Le mausolée ou la zaouia d’un saint-charif est considérée par la société comme un asile, un "Horm" interdit aux troupes makhzeniennes, et partant inviolable et sacré. De même ils sont souvent utilisés comme rouages diplomatiques du Makhzen auprès des tribus dissidentes, et comme arbitres dans la lutte des prétendants au pouvoir suprême.
En contrepartie de ces fonctions socio-politiques, les Chorfa possèdent une carte de charif et disposent de certains privilèges. Ainsi, outre le fait que leur amitié est un devoir religieux pour tout musulman, ils jouissent d’un privilège judiciaire dans la mesure où ils ne sont justiciables que devant leur Naqib, et d’un privilège fiscal puisqu’ils sont exempts d’impôts. En plus, leurs droits sur la caisse d’Etat, sont compensés généralement par des dons publics et privés. Ces privilèges leur sont accordés par ce que l’on appelle communément " les dahirs des privilèges" ou "les dahirs du Taouqir wa al ihtiram ".
Cette stratégie des Chorfas a été utilisée par la colonisation française en Algérie dans le but d'éteindre la flamme de la résistance en ayant un contôle sur les zaouia. Et comme vous le savez tous, un rapprochement dans le but de toucher "la baraka et la bénédiction " a été forgé et scellé entre le gouvernement algérien actuel et les zaouia. Comme quoi, on ne change pas une équipe qui gagne
;)
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