mercredi 4 décembre 2013

LA DEPRESSION D'ALBAICIN DE GRANADE

"...En expulsant les musulmans, on a condamné, non seulement leur lieu d'élection, l'Albaicin, à la décadence, mais aussi la première ville d'Espagne, Grenade, à une difficile reconversion..."

L'Albaicin est aujourd'hui le quartier de Grenade le plus négligé par le touriste qui, généralement, consacre tout son temps à la visite de l'Alhambra et de quelques monuments de la basse ville. Malheuresement, l'Albaicin n'a droit qu'à quelques secondes de regard depuis la tour de la Vela ou celle de Comares de l'Alhambra. Pourtant qui ne connaît ce mot évocateur qui a inspiré tant d'artistes? Peu de lieux ont un tel pouvoir de suggestion. Les historiens ont, eux aussi, négligé l'Albaicin. Il existe quelques ouvrages descriptifs et de rares monographies sur divers édifices qu'il renferme. On ignore tout ou presque de l'Albaicin, jusqu'à l'origine de son nom. L'explication qui consiste à dire que le mot vient de Baeza, ville qu'auraient abandonnée les Musulmans au 13ème siècle pour occuper la colline grenadine, ne satisfait guère les arabisants.

Le sentiment général peut être résumé brièvement: l'Albaicin est un lacis étroit de ruelles aux maisons petites et rapprochées et où les habitants, Musulmans pour la plupart, sont extrêmement nombreux.
L'Albaicin, est un labyrinthe, cette colline est couverte de maisons, d'échoppes et d'édifices divers qui occupent pratiquement tout l'espace. A ceux-ci il faut ajouter les carmenes, beaucoup moins nombreux sur l'Albaicin que de nos jours. Le terme «CARMEN» qui vient de l'arabe KARM (كرم), ce qui signifie vigne, était déjà appliqué au XVIe à un ensemble qui comprend une maison et un jardin.

La maison arabo-Andalouse est de taille généralement modeste. Elle est constituée de deux étages. En bas, la porte d'entrée se trouve au centre de l'édifice et donne sur le patio. De part et d'autre de la porte et à l'opposé se trouvent les pièces les plus fraîches de la maison, que l'on appelle palacios. Sur un petit côté figurent les services domestiques. A l'étage supérieur, plusieurs chambres ou camaras couvrent un espace
égal ou inférieur à celui de l'entrée et des palacios. Les camaras donnent sur le patio. A partir de ce modèle, il existe une série de variantes qui correspondent à des extensions. De toute manière, sauf exception, les pièces comme les patios sont de petites dimensions: quelques calculs montrent que les plus importants n'ont pas plus de quinze à vingt mètres carrés et que nombre de maisons n'ont pas une surface supérieure à trente cinq ou quarante mètres carrés. Par ailleurs, tant les livres de habices emploient souvent le diminutif de casilla ou même de camarilla.

Cependant l'Albaicin n'a pas un habitat uniforme, ainsi les loyers variaient de 0,5 à 20 réaux. Généralement, au 16ème siècle Les musulmans sont en moyenne 4 par foyer, et chaque famille possède son domicile. L'Albaicin est-il surpleuplé? Il ne semble pas. Au contraire, l'émigration musulmane, qui a commencé immédiatement après la conquête de Grenade par les Chrétiens en 1492 puis s'est amplifiée après la révolte
de 1500, a laissé des traces durables à l'intérieur de la colline.

L'Albaicin que nous pouvons voir aujourd'hui s'est formé à partir de la fin du 16eme siècle. Il est devenu la colline des carmenes par excellence, les maisons se sont agrandies, les jardins sont apparus, par nécessité pourrait-on dire. C'est là l'une des principales conséquences de la mesure d'expulsion. Mais elle en entraîne d'autres: l'Albaicin, à l'orée du 17ème siècle, est plus que jamais ville et campagne. Nombreux sont ses habitants qui tirent leurs ressources d'un travail agricole. Alors que cinquante
ans plutôt encore il était le modèle d'un monde qui trouvait son équilibre entre les activités agricoles, artisanales et commerciales, qu'il constituait le moteur de l'économie grenadine, il n'est plus désormais qu'un ilôt que l'on a détaché de la basse ville qui devient, de ce fait, l'usine et le magasin unique de Grenade. Ce transfert est capital dans l'histoire de la ville.

L'Albaicin musulman a été détruit dans les années 1570, l'Albaicin chrétien
naît sur des bases totalement différentes. Le cas grenadin a valeur d'exemple. Les Chrétiens ont engagé un difficile pari. Partagés longtemps entre la crainte du péril armé intérieur et le danger de voir l'économie de la république s'effondrer, ils ont, en
connaissance de cause, choisi d'en finir avec le premier. Sans doute pensaient-ils reporter ailleurs les richesses qui faisaient ainsi défaut à Grenade. Sans doute pensaient-ils, par des mesures adéquates, ne pas grever lourdement le trésor royal — l'intention de ne pas aliéner, ne serait-ce qu'une maison, en apporte la preuve — mais il fut prouvé, à posteriori, que les Morisques étaient plus indispensables qu'on ne l'imaginait, par le rôle qu'ils jouaient dans nombre d'industries et du fait qu'en 1570
la pression démographique ne se faisait plus sentir en Espagne. En les expulsant, on a condamné, non seulement leur lieu d'élection, l'Albaicin, à la décadence, mais aussi la première ville d'Espagne, Grenade, à une difficile reconversion.







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