RAPPORTS DE LA LANGUE ARABE ENTRE L'ANDALOUSIE ET LE MAGHREB
Nous l'avons déjà dit que l'élément arabe a toujours représenté une faible proportion de la population andalouse. Les Arabes de souche formaient, depuis la conquête, et ce jusqu'à la fin du XVe siècle, une aristocratie minoritaire. En revanche, les Amazighes, qui avaient joué un rôle essentiel, ayant permis aux conquérants arabes de se fixer dans la Péninsule, étaient beaucoup plus nombreux. Cependant, et contrairement à ce qu'on croit, bien qu'ils fussent musulmans, ils restaient en général très attachés à leur mode de vie et à leur idiome, l'Amazighe. Le troisième groupe ethnique, composé des enfants issus d'un mariage mixte entre un musulman et "une autochtone" convertis à l'islam, les Mouwallads, constituait la masse numériquement la plus importante de la population musulmane du pays. Or, en embrassant la religion des vainqueurs, tous ces Mouwallads ne changèrent, en fait, que peu de choses à leur façon de vivre. Dans le domaine linguistique, ils continuèrent à pratiquer le romain hispanique, dérivé du latin.
Aussi, la langue arabe n'était-elle pas la seule en usage dans Al Andalus. Bien plus, les Arabes furent amenés à apprendre le romain dont ils se servaient quotidiennement, non seulement dans la rue, mais aussi chez eux, avec leurs proches. En effet, arrivés sans femmes, ils ont dû épouser ou prendre comme concubines des autochtones ou des européennes qui, le plus souvent, exercèrent une certaine influence sur l'éducation de leurs enfants et transmirent à ces derniers leur langue maternelle comme rapporté par le célèbre Ibn Ḥazm. Ibn Ḥazm poursuit en disant que: Comme dans tous les pays arabophones, et de tout temps, la langue arabe se présentait sous deux aspects. Outre l'arabe littéral, qui était la langue de la culture et de l'administration, il y avait un arabe vulgaire plus ou moins altéré, parlé non seulement par les Musulmans mais également par la plus grande partie des Mozarabes (chrétiens influensés par la culture arabo-musulmane) et des Juifs.
En passant par l'Ifrīqiya, Abou ‘Ali Al Qali un philologue venu de Baghdad sur l'invitation du calife Abdel Rahman III dit être surpris de constater que « plus il s'éloigne de l'Orient et plus les Musulmans parlent mal l'arabe » ; et il se demande si, à son arrivée dans la Péninsule, « il ne sera pas obligé d'avoir recours à un interprète pour se faire comprendre ». Quelques années plus tard, la remarque d'Abou ‘Ali Al Qali est confortée par les affirmations du géographe al-Muqaddasi qui note, dans Kitab aḥsan al-taqāsīm fī ma‘rifat al-aqālīm, que « la langue des habitants du Maġrib est l'arabe ; mais un arabe peu intelligible et différent de l'idiome dont nous avons signalé l'usage dans les autres provinces ». Ce langage était souvent incompréhensible pour un Oriental, car il comprenait de nombreux vocables romains qui se mêlaient aux mots arabes, un peu à la manière des vocables français ou anglais qui, de nos jours, surgissent dans certains dialectes arabes.
Malgré cet extraordinaire brassage ethnique et linguistique et l'absence de racines arabes profondes dans le pays, l'usage de l'arabe, comme langue de civilisation, s'est imposé à l'ensemble de la population musulmane et s'est même répandu parmi les habitants non musulmans d'al-Andalus. Les Juifs qui, dans leur vie quotidienne, parlaient l'arabe dialectal ou le romain, s'intéressaient à la culture arabe et beaucoup d'entre eux réussissaient à l'assimiler parfaitement. Les Mozarabes, eux aussi, portaient un intérêt croissant à la langue et à la civilisation de l'Islam. D'ailleurs, certains auteurs mozarabes déplorent la désaffection des jeunes Chrétiens pour le latin et la culture chrétienne et attestent l'attrait exercé sur eux par la culture arabe.
N'oublions pas que les arabes de l'orient avaient fait goûter aux tribus Amazighes de l'Afrique du nord le charme de la langue arabe bien avant la conquête de l'andalousie en 711. Biensure, cette motivation n'était certainement pas celle de tout le monde, mais c'était suffisant pour satisfaire certaines ambitions personnelles et accéder à des fonctions réservées aux Musulmans comme l'avait fait Tarik Ibn Ziad, ce qu'il réussit à faire avec brio.
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