MEDECINS-PHARMACOLOGUES ANDALOUS TRADUITS EN OCCIDENT
(Partie 1)
(Partie 1)
L'Espagne est pays priviligé, il a reçu une transfusion vitalisante de cultures et de sciences venues avec la conquête musulmane. Hélas, cette réceptivité intellectuelle et spirituelle cessa avec l'Inquisition. Celle-ci interdit au médecin musulman andalou « accusé de sorcellerie ou de prosélytisme, l'accès à l'Université et à la culture scientifique à cause des statuts de pureté de sang ». Elle lui interdit, ainsi qu'aux Juifs, de pratiquer son art.
Entre le Xe et le XIIIe siècle, on a pu dénombrer environ vingt cinq savants pharmacologues andalous. Les plus célèbres d'entre eux sont Ibn Zuhr (l'Avenzoar latin), Ibn Rushd (Averroes), Ibn Maymûn (Maimonide) et Ibn al-Baytâr. D'autres savants pluridisciplinaires et poly graphes se sont aussi illustrés dans la pharmacologie : Ibn Bâdjdjda le philosophe, les géographes al-Bakrî et al-Idrîsî, Ibn Biklârish le botaniste saragossain, Ibn al-Rumiyya, botaniste sévillan. Alors, dans cette Espagne où la flore était luxuriante et où les ressources minérales (plomb, argent, cinabre, cuivre) abondaient, le goût pour la botanique, les herborisations et la pharmaceutique se développa. En même temps, cette disposition fut favorisée par l'acclimatation, sur le territoire, d'espèces nouvelles introduites par les Musulmans et par la découverte, grâce aux navigateurs, de plantes de pays lointains comme la Malaisie ou la Chine. Ainsi, parmi ces substances nouvellement utilisées, on peut citer : le camphre (kâfur, déjà employé comme parasiticide, antiseptique et toni-cardiaque), la casse (pulpe de la gousse du cassier à la vertu purgative) et le santal (de l'arabe çandal, terme employé pour désigner des substances ligneuses provenant du santal blanc ou rouge d'où l'on tire une essence balsamique et des poudres pharmaceutiques).
C'est à cette époque que vécut Abu al-Kâsim al-Zahrâwî. Ce nom vous est peut-être inconnu mais si je l'associe à sa forme latinisée Albucasis, vous reconnaîtrez ce chirurgien célèbre, auteur d'une importante encyclopédie médico-cWrurgicale. Il est, en effet, fameux pour ses traités d'obstétrique, pour ses descriptions d'opérations chirurgicales (amputations, opérations de fistules et de hernies, trépanations). Il est aussi réputé pour ses théories sur les réductions de fractures et de luxations, ainsi que pour les croquis d'instruments et ustensiles qui illustraient ses traités. C'est bien de lui, en effet, dont il s'agit car son encyclopédie, formée de trente livres, est consacrée pour un certain nombre d'entre eux à la pharmacologie. Cette oeuvre fut si importante que Hacen El Wazzane (Léon l'Africain) l'a comparée aux Canons d'Avicenne, القانون في الطّب لإبن سينا. Al-Zahrâwî est né à « Madîna al-Zahrâ' », à 5km de Cordoue, son nom arabe a subi plusieurs déformations, On compte seize déformations d' Abu al-Kâsim, parmi lesquelles Albucasis, Buchasis, Abul-Kasem, Bulcasis, Albucrasis, Cusa... et dix-neuf d'al-Zahrâwî dont Alsaharavius, Alzarabi, Azaragi, Acaravius, Acaragui, Benabenazerin. Cela explique que l'on n'ait pas toujours su à qui attribuer certains textes et que l'on ait cru en l'existence de plusieurs personnes l'une plagiant l'autre. Al-Zahrâwî se préoccupe des techniques de préparation à partir des drogues d'origine végétale, minérale et animale. On reconnaît le point de départ de ses méthodes dans les théories d'Hippocrate et de Galien selon les quelles les quatre éléments de la nature (le froid, le chaud, le sec et l'humide) sont en équilibre chez l'homme. La rupture de cet équilibre est cause de maladies. On peut y porter remède en administrant au malade le pourcentage nécessaire de l'élément en déséquilibre.
Ainsi, Al-Zahrâwî indique que « la figue est d'une nature chaude et humide au premier degré. Elle est employée pour les reins dont elle dissout les calculs, mais elle a pour inconvénient de surcharger, ce que l'on peut éviter en prenant du potage salé et des boissons vinaigrées ». La prune, quant à elle, est de nature froide du premier degré. On l'emploie pour évacuer la bile mais elle occasionne des maux d'estomac auxquels on peut porter remède en consommant du sucre avec des roses. Naturaliste, al-Zahrâwî décrit la faune et la flore d'Espagne, « al-adwiya al-mufrada », c'est-à-dire les « simples ». Pour les plantes, il signale le lieu de récolte, comment les cultiver et les préserver.
Chimiste, il débat des méthodes techniques pour préparer, en vue d'un usage médicinal, des matières chimiques comme la litharge, la céruse, le vitriol et le vert de gris. Il décrit comment brûler l'ambre, le corail, la thérébentine et les ceps de vigne pour en obtenir des cendres utilisables dans les préparations pharmaceutiques. Pour les drogues tirées de matière animale, il indique le mode de préparation des coquilles, ongles, sabots, os ainsi que celui des serpents, lapins et scorpions.
Technicien, il puise aux sources de l'ancienne Mésopotamie sassanide aussi bien que dans les techniques des artisans et des parfumeurs d'Iraq et d'Egypte. Il décrit également les techniques et appareils destinés à préparer les eaux aromatiques telle l'eau de rose et les adhân qui sont des préparations huileuses ou des pommades. Il pratiquait aussi la distillation, y compris celle du vin pour obtenir du vinaigre et non de l'alcool .
Didactique enfin, il illustre son traité de croquis et de dessins. Il représente, par exemple, des poinçons en buis ou en ébène pour timbrer certains médicaments, des moules pour confectionner des tablettes et des comprimés ou des systèmes de filtration.
Certaines parties de l'uvre d' al-Zahrâwî furent traduites en diverses langues : - le livre touchant à la chirurgie, fut traduit par Gérard de Crémone à Tolède au XIIe siècle. Il fut par la suite édité plusieurs fois, par exemple à Venise, quatre fois entre 1497 et 1531. Pour la partie pharmaceutique, le livre XXVIII, connu sous le nom de Liber servitoris a plusieurs fois été transposé en latin. La version la plus connue est celle de Simon de Gênes associé au Juif Abraham de Tortosa en 1290. Cette traduction a longtemps fait oublier qu' Al-Zahrâwî traite de pharmaceutique dans d'autres livres (livres III à XXV, livre XXIX et livre XIX de cosmétologie...). Cette version latine fut elle-même reprise en espagnol par Alonso Rodriguez de Tudela et imprimée à Valladolid en 1561. On connaît également un manuscrit en hébreu et d'autres textes en latin imprimés, entre autres, celui de Nicola Jenson Gallicum à Venise, en 1497. Le livre de diététique fut connu en catalan grâce à Berenguer Eimericho qui, à son tour, se vit traduire en latin. Le livre prit alors le titre de Dictio de cibaris informorum. Enfin, les livres XXVI sur la diète et XXVII sur l'hygiène furent partiellement traduits en hébreu par Yûsuf ben Waqqâr dès 1295. Ainsi, même si sa renommée n'a pas été à la hauteur de son uvre, al-Zahrâwî aura laissé longtemps son empreinte dans la culture scientifique du Moyen Âge occidental.
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