samedi 21 février 2015

MEDECINS-PHARMACOLOGUES ANDALOUS TRADUITS EN OCCIDENT
(Partie 2)
Le second pharmacologue andalou dont j'ai voulu vous entretenir est Abou al-Mutarrif Ibn Wâfid. Issu d'une famille noble de Cordoue, Ibn Wâfid est né à Tolède en 999/389 H. ou 1008/398 H. selon les sources. Cependant, il se rend dans la capitale du califat, Cordoue, pour approfondir ses connaissances en médecine et en droit. Puis, il revient à Tolède et devient, après la chute du califat en 1031, vizir de l'émir local Al-Ma'mûn. C'est sur son ordre qu'il crée sur les berges du Tage, un jardin botanique alors célèbre. Il serait mort en l'année 1074/467 H.
Ibn Wâfid est connu en Occident sous les noms d'Abenguefit ou d'Aben Nufit. Sans doute fut-il aussi philosophe car il était aussi surnommé Abenguefit philosophi mais aucun manuscrit de philosophie pouvant lui être attribué n'a encore été retrouvé. Ses biographes ont dit de lui qu'il « atteignit dans la science des médicaments un savoir que personne n'avait jamais possédé à son époque et qu'il composa sur vingt ans un livre des médicaments sans égal ».
il est l'auteur de trois recueils :
1) le kitâbfî al-adwiya al-mufrada : le livre des médicaments simples.
2) le kitâb al-wisâdfî-l-tibb : le livre de l'oreiller de la medecine.
3) le madfmu al-filâha : traité d'agriculture.
Le « livre de l'oreiller », porte sur les simples et les aliments. C'est un formulaire à valeur pharmacologique. On le décrit comme une pharmacopée. C'est un manuel pratique. Il comporte la description d'un grand nombre de préparations médicinales, énumère les drogues entrant dans leur composition, les quantités nécessaires, puis le mode de préparation et d'application des médicaments. En suivant le modèle courant en médecine arabe, il liste les remèdes en partant de la tête
vers les pieds. Voici deux exemples d'ordonnances contenues dans le « livre de l'oreiller » :
1) « Ordonnance pour un homme qui se trouve être affecté par une grosse chaleur à l'entrée de l'été. Il l'utilisa et s'en trouva bien. Prends deux dirhams de feuilles de rose, trois de semence de chicorée, un mithkâl de manne de bambou et un dirham de fleur de violette. Pulvérise l'ensemble, malaxe avec de l'eau de rose, prépare avec la pâte obtenue des pastilles d'un mithkâl et mets à sécher à l'ombre. Fais prendre au malade une pastille avec du julep, sirop de rose ou de violette en cas de constipation ou sirop de grenades ou de pommes. »
2) « Remède utile contre la fièvre ardente provoquée par l'atrabile et contre le mal de tête intense. Prends 5 dirhams d' épine- vinette, trois de santal jaune, une demi-ûkiyya de rose rouge, 4 dirhams de graines de courge sans écorce, trois de graines de pourpier, et encore 3 de tragacantae. Pulvérise chaque drogue séparément, tamise-les, réunis le tout en ajoutant une ûkiyya de sucre en poudre et malaxe avec du julep très sucré. Donne à boire au malade de trois à six dirhams de cette préparation selon le degré de fièvre, la force de l'atrabile et son intensité, selon la saison et l'âge du patient. »
Les traductions des ouvrages d'Ibn Wâfid sont nombreuses :
- le « livre des simples » fut abrégé et traduit en latin par Gérard de Crémone sous le titre Liber Albenguefith philosophi de vertutibus medicinarum et ciborum et publié de nombreuses fois pendant la Renaissance (Strasbourg, 1531, Venise, 1532). L'uvre entière et non pas seulement résumée aurait été également traduite en plusieurs langues romanes notamment en catalan au XIIe siècle. En 1943, un spécialiste espagnol, Millas Vallicrosa, identifiait un texte rédigé en « caractères hébraïques espagnols et en langue arabe », datant du XIVe siècle, comme faisant partie du « livre sur les médicaments simples » d'Ibn Wâfid. Jusqu'alors, celui-ci était uniquement connu par la traduction latine condensée de Gérard de Crémone;- le « livre de l'oreiller » dans la version de Gérard de Crémone a été imprimé à Strasbourg en 1537 et à Venise en 1558. Il fut traduit en hébreu par Judah ben Salomon Nathan ; - le « traité d'agriculture » a été identifié dans un manuscrit en langue espagnole, répertorié dans les catalogues du fonds de la Bibliothèque Cathédrale de Tolède sous la référence Abel Mutarrif, Abel Nufi, fisico toledano de agricultura. Cette uvre d'Ibn Wâfid aurait donc été traduite directement en espagnol à la fin du XIVe siècle, début du XVe. Elle aurait considérablement influencé à la fin du XVe siècle, Gabriel Alonso de Herrera, philosophe, mathématicien et agronome espagnol, professeur à
l'Université de Salamanque et aumônier du Cardinal et grand Inquisiteur Cisneros dans la rédaction de son Agriculture générale éditée en 1513.
Ces enumerations des traductions des ouvrages d'Ibn Wâfid et d' Al-Zahrâwî, à elles seules, peuvent témoigner de la profonde influence de la pensée musulmane sur la pensée occidentale, et ce pendant plusieurs siècles. Or, la pharmaceutique n'était qu'un domaine très restreint. Les penseurs de la civilisation musulmane excellaient dans bien d'autres disciplines : mathématiques, astronomie, médecine, botanique, agriculture, pour ne citer que quelques unes des sciences exactes ou naturelles qu'ils firent progresser parleurs études et leurs découvertes. De nombreuses avancées scientifiques ont profité à T Occident. Comme le suggérait, à propos des sciences médicales du Moyen Âge, H.PJ. Renaud : « Nous assistons à... la réimplantation « arabe »... d'une nouvelle bouture de la médecine grecque, nourrie dans le terreau des vieilles civilisations égyptienne, syrienne et mésopotamienne et qui vient remplacer la souche occidentale épuisée. » Max Meyerhof, grand spécialiste de la pharmacologie musulmane, commentait cette transmission de culture comme « la fécondation de la science européenne par la science arabe et ses effets germinatifs ultérieurs ». Il serait donc légitime de rejoindre Tommaso Samelli lorsqu'il affirme que nous devons nous sentir débiteurs de l'Espagne d'avoir su transmettre la richesse des savoirs orien taux. Nous devons surtout nous sentir redevables envers cette civilisation musulmane dont le haut degré de spécialisation et de culture a enrichi l'Occident.


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