jeudi 2 juin 2016

L'ALGÉRIE, TERRE DE DÉPORTATION ET TERRE D'ACCUEIL D'IMMIGRATION EUROPÉENNE (Fin)
Les réactions de rejet ne tardent pas à se faire sentir : «Les Maltais, écrit Louis de Baudicourt, sont les étrangers pour lesquels la plupart des fonctionnaires et les colons français ont le moins de sympathie». En 1838 un officier français écrit : «organiser l'ordre au milieu des Maltais, des indigènes, des fainéants et des voleurs. Que l'on admette dans la colonie, si on le juge convenable, les repris de justice, les condamnés..., le rebut de la nation, mais qu'on y envoie des hommes forts pour diriger les administrations et des troupes bien disciplinées pour les protéger» Association de mots et d'images fort parlante, à défaut d'accusations plus directes, et que l'on retrouve dans d'autres textes, qui ne parlent pas uniquement des Maltais. Parfois on les associe aux Majorquins (on emploie souvent ce terme dans les premières années de la colonisation pour parler des Espagnols), parfois aux Italiens. Maltais et Italiens sont « souvent des gens mal famés, faisant du tapage, et s'entendant avec les Arabes pour les vols de chevaux».
Genty de Bussy écrit d'ailleurs en 1839 qu'il ne faut pas exposer l'Algérie à devenir «le dépôt des mendiants de l'Europe» (dépôt étant pris bien entendu au sens de dépotoir). Et d'ajouter, pour éviter toute fausse interprétation : «Nous avons à nous défendre des migrations répétées des Baléares et de Malte!» Dans un rapport officiel de 1850, le prefet d'Oran décalre : l'arrivée des Espagnols a coïncidé «avec plusieurs vols audacieux, dont les auteurs n'ont pas été découverts, et l'opinion publique s'est émue de cette coïncidence». Les premiers espagnoles venus, à la suite de l'armée française, occupent de petits métiers, charretiers, commerçants ambulants, cantinièresou prostituées pour les femmes. Plus tard, ils cultivent des lopins de terre sous forme de jardins, ou constituent des équipes de «défricheurs» ou de cueilleurs d'alfa, venant en saisonniers jusqu'en Algérie et repartant ensuite vers leur région d'origine, Andalousie ou pays valencien. C'est une main-d'oeuvre rude, prête à effectuer des travaux qui répugnent aux Français et que n'accepterait peut-être pas de faire la population locale, attachée à ses activités traditionnelles; pourtant il s'agit de travaux mal rémunérés, même si les salaires agricoles perçus à cette occasion par les Espagnols sont relativement plus élevés que ceux auxquels ils pourraient prétendre en restant chez eux.
Italiens et Maltais font moins souvent que les Espagnols les travaux pénibles de la campagne; ils n'ont parmi eux qu'une minorité d'ouvriers agricoles. Mais les petits métiers qu'ils exercent dans les villes ne leur permettent guère de s'élever dans la hiérarchie sociale. On retrouve d'un bout à l'autre de l'Algérie les mêmes métiers, pêcheurs (les Maltais et les Siciliens exercent même un véritable monopole dans ce domaine dans le Constantinois), bateliers et portefaix, charretiers, bref toutes les professions liées au transport et aux activités portuaires. On retrouve également parmi eux un grand nombre de travailleurs sans qualification, désignés seulement comme journaliers, des ouvriers du bâtiment, ce qui n'implique pas nécessairement une spécialisation, des domestiques. Et puis il y a ce groupe si diversifié du petit commerce et de l'artisanat, qui va du garçon de café au marchand des quatre saisons, sans que l'on puisse en
limiter exactement l'énumération.
Migration non désirée, migration de pauvres, migration utile par son travail et aussi par la fonction d'intermédiaire qu'elle peut remplir entre le colonisateur et le colonisé, cette masse déshéritée est, par sa présence, symbole de l'échec de la grande migration coloniale, du rêve américain qui a présidé un temps à la politique algérienne de la France. C'est peut-être à l'étude de cette idéologie qu'il faut revenir pour la confronter aux réalités du départ. L'histoire des migrations coloniales ne pourra s'éclairer en tout cas que par ce retour en arrière.
Ref: La migration européenne en Algérie au XIXe siècle : migration organisée ou migration tolérée. Par Emile Temime


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