Ce qui est étrange au Maghreb c'est la multiplication des noms locaux pour désigner le singe. On peut l'expliquer par la naissance et l'évolution de plusieurs dialèctes Tamazighes ou "berberes", comprenants au Maroc le rifain, le chleuh, en Algérie le zénète, le kabyle, en Mauritanie le zenaga, au Sahara le touareg. Les variantes de Tunisie et des oasis libyennes remontent probablement au libyque attesté par des inscriptions et qu'on appelle aussi numide. En Algérie, les Kabyles du Djurdjura l'appellent le Magot, Ibki; pour les Touaregs c'est Abiddau, Abiddo; pour les Chaouia c'est Azdud et se rattache évidemment à l'arabe زيطوط, Zitut. Au Maroc et tout dépend la région on peut l'appeler, Abarius, Zasatût. Beaucoup de Berbères emploient d'ailleurs, pour désigner le Singe, l'un des noms arabes de cet animal: Chadi,شادي, Qerd, قرد , et S'âdan, سدان. Alors que chez les Beni Snouss de Tlemcen ils l'appellent "L'qerd". Bref, vous l'avez bien compris, c'est toute une série de dénominations particulières qui varie en fonction de la région et la tribu.
Le nom du Singe figure couramment dans la toponymie française d'Algérie ; ravin ou ruisseau des Singes des gorges de la Chiffa au sud de Blida ; la vallée des Singes, entre Bougie et le Cap Carbon. Comme la toponymie française d'Algérie, la toponymie espagnole des Presidios marocains a fait usage du nom du Singe pour, désigner les rochers calcaires : un monte de las Monas ou une sierra de las Monas, «montagne des Singes » ou « crête des Singes » se dresse immédiatement à l'Ouest de Ceuta. Djebel el Qrouda du pays des Ktama du Rif Marocain, et Djebel Addouna, « la montagne des Singes » vers la ville de Skikda en Algérie.
Plusieurs croyances sont liées au monde des singes, par exemple une tradition populaire très répandue dans le Nord du Maroc veut qu'il existe quelque part en cette contrée «une ville de Singes » : les animaux de cette cité «qui vivent et se gouvernent comme des hommes », sont très redoutés des gens du Maghreb. En Algérie, « ce serait à leur vilaine
figure que les Singes devraient de voir l'évocation de leur nom tenupour un mauvais présage »: Le grand nombre des Singes qui vivent encore dans le Kabylie du Djurdjura, est évidemment lié au préjugé populaire, selon lequel ces animaux sont des hommes ayant encouru la colère divine et, pour cette raison, privés de la parole. Une légende kabyle raconte que deux jeunes bergers, égarés dans un canton inhabité du Djurdjura et mourant de faim, implorèrent avec tant de ferveur. le secours de Dieu, que celui-ci leur envoya pour déjeuner un plat de couscous. Mais après s'être rassasiés de ce mets divin et probablement grisés parle nectar qui l'accompagnait, les deux écervelés s'avisèrent d'utiliser le récipient ayant contenu le couscous à un tel usage que soudain la Providence impitoyable les changea en Singes.
Les forêts de Tlemcen avaient aussi hebergées plusieurs populations de ces primates. D'ailleurs l'appellation des Aît Addou ou Ouaddou veut dire « Fils de Singes » (Aît, « les gens» ; O«,.« fils » ; Addou, « Singes »). la dénomination tribale Addou se retrouve en Oranie, sous la forme Ouled Addou, douar de la région de Sebdou. Rappelez vous des populations troglodytiques de Tlemcen, la légende qui tient pour frères hommes et Singes est particulièrement aisée à concevoir en des contrées où subsistent encore ces populations et des singes: les Berbères étaient dans l'antiquité par excellence des habitants des grottes et ils le sont demeurés aux temps modernes en bien des points de l'Afrique du Nord ; le Magot, d'autre part, est essentiellement l'hôte des souterrains creusés dans les montagnes maghrebines.
En Andalousie, la présence actuelle de Singes à Gibraltar est incontestablement aussi le fait de l'homme ; il est bien difficile de dire si le Magot est indigène ou a été importé sur le fameux rocher bien que dernièrement et d'après des études génétiques, nul doute que la population actuelle est d'origine algérienne et marocaine. Mais curieusement, la première mention scientifique de sa présence en ce point remonte à seulement 1797. Les auteurs de l'antiquité classique ne signalent point la présence du Magot à Gibraltar. Étrangement, le Magot ne figure pas davantage dans la liste des animaux d'Andalousie, donnée par Abou Al Fidâa, أبو الفداء auteur arabe du XIIIe siècle. Aussi une vieille légende arabe, donnée quelquefois comme un argument en faveur de la thèse de l'indigénat du Magot sur le rocher, dit-elle: que « les Singes connaissent un passage souterrain entre le Maroc et Gibraltar».
Conclusion:
Les traditions populaires berbères ayant trait au Singe sont remarquables parce qu'elles évoquent surtout* les moeurs troglody tiques du Magot. Comme précisément l'Afrique mineure était, à l'aurore des temps historiques, le pays par excellence des hommes vivant dans des cavernes,
une analogie curieuse s'est trouvée établie, dans ce pays, entre l'habitat des Singes et celui des humains. De même que le nom des antiques populations delà contrée, Afri, primitifs de Y Africa, vient du berbère ifri «grotte », de même, plus tard, les Béni Ifren, une des grandes tribus de la famille des Zenata, porte un nom qui signifie « les troglodytes » et qui a pris Tlemcen pour capitale sous le commandement d'Abou Qurra Al Ifrini et aujourd'hui encore les gens de Dadès qui demeurent dans des grottes sont les Aïtlfri. Fez, Taza, Tlemcen étaient à l'origine des villes de "cavernes". C'est toujours le cas pour le quartier de Fez, dit Bab Guissa. Dans bien des localités du Rif, du Moyen Atlas (El Hadjeb, Ifran, Dadès) ou du Haut Atlas, la trace du troglodytisme originel persiste. C'est par analogie à ces villes humaines de grottes que les Rifains ou les Kabyles parlent, depuis le temps de Diodore de Sicile jusqu'à maintenant, de « cités de Singes »
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