Visite du Président de la République Française, M. Loubet à la Mosquée de Sidi Abou Mediene, Tlemcen.

Le Président de la République a tenu à faire une démarche qui donnât satisfaction aux sentiments religieux des musulmans d'Algérie. Solennellement il a visité l' exquise mosquée de Sidi-Bou-Médine. C'est à quelque distance de Tlemcen, sur le flanc d' un coteau idéalement orné d'oliviers, de figuiers, de grenadiers, de rosiers, de vigne-vierge, que s'élève le monument consacré à la mémoire du marabout de la région, Bou-Médine. Une foule énorme d'indigènes, hommes en burnous, femmes au visage voilé, enfants bruyants et grouillants, attendait M. Loubet tout le long du pittoresque chemin caillouteux qui mène à la mosquée et au tombeau du saint. Cette journée passée à Tlemcen fut pour le Président la première journée de repos. Si la pluie n'en eût gâté le programme, elle eût aussi marqué pour lui son premier contact avec l'intimité de l'âme arabe.

Tlemcen est, en effet, une ville essentiellement arabe, et l'une des plus anciennes, des plus magnifiques de l'Afrique. Elle enferma dans ses murs, lorsque la ciré nouvelle s' édifia à côté de la petite Agadir, jusqu' à 300,000 habitants. Son méchouar, citadelle vieille d'au moins huit cents ans, qui est aujourd'hui transformée en caserne, fut le palais des anciens roi de Tlemcen et l' un des châteaux-forts où s'embusqua l'émir Abd-el-Kader. Elle a soixante et une mosquées. De la première d' entre elles, Djama-Kébir, on peut apercevoir la mer. Enfin, Tlemcen, avec ses 35,000 habitants, dont le dixième seulement est français, dont 5,000 sont juifs, dont le reste est mahométan, est une ville vraiment arabe et demeure telle malgré la conquête, et, si l' on souhaitait montrer au Président un peu de pittoresque enfin, c' est là qu' il devait le rencontrer.

Nos lecteurs savent que, dans les pays musulmans, on ne peut pénétrer ni dans les mosquées, ni dans les bibliothèques, sans avoir, par respect pour le lieu, laissé ses chaussures à la porte. Le Président et sa suite furent dispensés de cette formalité; on ne les obligea pas même, comme on le fait dans toutes les mosquées, à enfiler des babouches par-dessus leurs bottines. On se contenta d' étendre sous leurs pas des tapis, et par ainsi furent conciliés les devoirs envers Allah et le chef de l' Etat français. La mosquée de Sidi-Bou-Médine est fort belle ; l'intérieur en est brodé de fines et délicates arabesques, sur lesquelles se détachent des inscriptions tirées du coran. Dans un caveau perpétuellement éclairé par de nombreux cierges est le tombeau de Bou-Médine, profondément vénéré par les indigènes qui y viennent en pèlerinage et surchargé d' exvoto. (Le Petit Journal du 3 Mai 1903)