mardi 8 avril 2014

REGARDS SUR LES RAPPORTS DE L'ANDALOUSIE AVEC L'ORIENT
L'Espagne Omayyade a toujours jalousement sauvegardé l'héritage que lui avait légué le califat de Damas. Elle fut la gardienne zélée et vigilante de traditions syriennes qui restèrent vivaces pendant longtemps, même après que des apports nouveaux, notamment d'origine Abasside, eurent réussi à s'infiltrer dans la Péninsule. Aussi, sous bien des aspects, al-Andalus était-elle archaïque et conservatrice par rapport à l'Orient. Ce conservatisme poussé se manifeste d'abord dans le domaine religieux. L'orthodoxie sunnite la plus stricte s'implanta petit à petit dans le pays, et le Malikisme s'imposa, dès la fin du VIIIème siècle, presque en maître absolu. Dans le domaine du savoir profane, l'Espagne était également très attachée aux traditions. D'autre part, elle a toujours reconnu une sorte de suzeraineté spirituelle et intellectuelle de l'Orient.
Tous les lettrés andalous étaient nourris aux sources orientales de la poésie et de la prose. Le poète Ibn Khafaja avoue qu'il doit l'essentiel de son inspiration à des poètes orientaux: « J'ai à peine lu, dit-il, la poésie d'Al-Raḍī, de Mihyar Al-Daylami, de Abd Al-Mouḥcin Al-Ṣouri ou d'autres poètes de son école, que j'ai été envoûté par les admirables et rutilantes beautés et par la pureté et le charme de ce vocabulaire. [...] Aussi me suis-je tourné vers la poésie, l'ai-je étudiée et récitée sans cesse et me suis-je efforcé de pasticher ces poètes l'un après l'autre. »
Après la dislocation de l'empire Omayyade d'Espagne, des petites principautés s'édifièrent sur ses décombres (Taïfas) ; et toutes, dans un esprit de propagande, essayaient d'imiter ce qui se faisait à Bagdad et dans les différentes cours orientales. Les chefs de ces principautés s'érigèrent en protecteurs des arts, et chacun d'eux tentait d'attirer à sa cour les meilleurs talents et les plus beaux esprits. Ils se disputèrent les esclaves chanteuses formées à Médine ou à Bagdad, qu'ils achetaient à prix d'or. L'engouement des Andalous pour l'Orient, à cette époque, était tel qu'il a fait dire à E. García Gómez que : « Tandis que les Omayyades ont contribué avec succès à faire d'al-Andalus une contrée occidentale, les Reyes de Taifas [au contraire] se sont appliqués à "réorientaliser" la Cordoue occidentale. Aussi, les capitales andalouses se sont-elles transformées en une Bagdad minuscule en plusieurs exemplaires. »
Le mirage de l'Orient était si vivace que les Moulouk Al Ṭawaif se donnaient des titres honorifiques empruntés aux califes Abbasides et aux princes Bouyides ou Hamdanides. Les Andalous étaient imprégnés de l'Orient au point qu'un souverain ou un lettré espagnol leur évoquait tel souverain ou tel lettré oriental. Al-Mu‘tamid Ibn Abbad les faisait penser au calife Abbaside Al-Wathiq Bi-Allah pour son intelligence et sa culture.
Cependant les Andalous ne se contentaient pas de faire venir des célébrités et d'acquérir des livres orientaux ; ils aspiraient dans le même temps à se rendre dans ces grandes cités qui exerçaient sur eux une espèce d'attraction magique. L'obligation religieuse du pèlerinage leur en offrait l'occasion. Ils en profitaient pour effectuer des séjours plus ou moins longs dans les différents centres de culture, notamment au Caire, à Bagdad, à Damas, à Nishapour, afin de puiser aux sources mêmes du savoir islamique. D'ailleurs, le pèlerinage et la "quête de la science" (ṭalab al-‘ilm, طلب العلم) n'empêchaient pas certains de satisfaire également leur curiosité ou leur goût de l'aventure, et même de pratiquer le commerce. La soif d'apprendre poussait d'aucuns à chercher à rencontrer des savants de renom, et éventuellement à assister à leurs cours. Les plus doués et les plus chanceux d'entre eux réussissaient, au bout d'un certain temps, à obtenir du maître l'iğāza, en quelque sorte la bénédiction qui leur permettait d'enseigner cette matière à leur retour.
Les Andalous s'étaient tellement appliqués à se mettre à l'école de l'Orient que, vers la fin du Xème siècle, ils parvinrent à son niveau et estimèrent pouvoir soutenir la comparaison avec celui-ci. Certaines imitations ressemblent désormais étrangement au modèle. Alors, des voix s'élevèrent pour dénoncer ce sentiment d'infériorité intellectuelle dont souffrait al-Andalus, et pour rejeter cet état de subordination envers l'Orient. Parmi les réactions dans ce sens, celle du grand Ibn Ḥazm est sans doute la plus énergique: « Qu'on me fasse grâce, déclare-t-il, des histoires des anciens Arabes et des gens des époques révolues ! Leur voie n'est point la nôtre, et la documentation qui les concerne est vraiment devenue pléthorique ! »
Et, dans un vers resté célèbre, il avoua « que, parmi toutes les pierres précieuses, il se contentait volontiers du seul rubis andalou ». Certains ont décelé dans ces déclarations une tendance nationaliste et la volonté de prendre ses distances vis-à-vis de l'Orient et de promouvoir une littérature spécifiquement andalouse. Mais, en fait, toutes ces prises de position un peu trop passionnelles étaient plutôt destinées à réagir, d'une part contre un péril intérieur qui consistait à se sous-estimer et à douter de ses propres capacités et, d'autre part, contre l'indifférence sinon le mépris trop souvent affiché par les Orientaux à l'égard des Andalous et de leurs productions littéraires.
Les Andalous considéraient la langue arabe comme une langue à vocation universelle, et sa littérature constituait selon eux un ensemble homogène. Donc, ils ne cherchaient pas à marquer leur différence ; ils voulaient tout simplement rivaliser avec les Irakiens, les Égyptiens et les autres arabophones, et prouver qu'ils étaient capables de les égaler, voire de les surpasser.


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