Il y a quelques semaines, nous avons débattu la disparition de la magnifique Medersa El Djadida (Tachfinia, le Collège Neuf) ; vous étiez nombreux à participer à ces échanges et je vous en remercie. Par les données que j'ai pu rassembler, j'ai émis une conclusion à propos les raisons qui pourraient expliquer sa destruction par la colonisation française. J'ai tenté d'assembler les pièces du puzzle en avançant l'idée selon laquelle cette Medersa ne jouait plus son rôle initiale qui consiste à l'éducation, elle a été convertie vers toute autre fonction et seulement le portail principal à moitié effondré a résister au temps et aux dégradations. Sa restauration par l'administration coloniale donc était impossible à l'instar de nombreux autres monuments de Tlemcen, et sa démolition était indiscutable. Mais, j'étais resté sur ma faim car j'avais pas de preuves directes pour confirmer mes dires. Je suis un amoureux de la vérité et c'est frustrant d'être sincèrement persuadé de la justesse de ce que l'on pense sans avoir toutes les évidences. En tout cas, bonne nouvelle je viens de trouver cette dernière pièce, et désormais je peux laisser cette Medersa reposer en paix.
Rappelez-vous, seulement la mosaïque du portail d'entrée a pu miraculeusement sauvée. Une partie a été sauvegradée dans le musée de Tlemcen et les autres au musée d'Annecy (plus tard au Louvre) et au musée de Sèvres (cité de la céramique). Comme l'indique le document ci-joint M. Levet capitaine Genie Militaire à Tlemcen a fait don de cette mosaïque au musée Sèvres. Le conservateur du musée a publié une note au sujet de cette mosaïque de la Medersa de Tlemcen et voici une partie de son contenu (le texte complet est consultable gratuitement sur Revue des arts décoratifs volume VII, 1886-1887, pages 298-302:
UNE MOSAÏQUE DE FAÏENCE AU MUSÉE DE SEVRES
Un fragment de mosaïque de faïence, provenant de l'ancienne Medressa à Tlemcen, vient d'entrer dans le Musée céramique de Sèvres; grâce au zèle éclairé de M. J. Levet, capitaine du génie, en garnison en Afrique il y a une dizaine d'années, lui seul, par ses connaissances d'ingénieur, parvint à sauver de la ruine des fragments d'un carrelage qui, depuis le XIVe siècle, avait résisté au temps, mais non aux indifférents (...)
Dans une lettre que voulut bien m'écrire le donateur, il entrait dans des détails qu'il est utile de transcrire littéralement :
Les dallages en mosaïque étaient construits de la manière suivante : les morceaux monochromes étaient soigneusement ajustés à l'avance. La taille devait se faire par l'usure à la meule, et les bords étaient taillés en biseau pour rendre l'ajustage plus parfait. Sur une couche de béton très épaisse on étendait une couche de plâtre de bonne qualité (celui d'Algérie est aussi bon que celui de Paris), et avant que le plâtre eût fait prise on y incrustait les petites pièces préparées d'avance. C'est un travail délicat, qui doit exiger des ouvriers très exercés, car on n'a pas la ressource, comme dans la mosaïque italienne, de rectifier les inégalités par le polissage. (...) La grande Medressa de Tlemcen était le principal des cinq collèges de cette ville; on y enseignait principalement la théologie et le droit. J'ignore la date de construction de cet édifice, mais je le crois de la seconde moitié du XIVe siècle. Voici pourquoi : Tlemcen était déjà très florissante au XIIe siècle, même au point de vue de l'art; mais l'apogée de sa splendeur se place à la fin du XIVe siècle et au XVe C'est à cette époque que les historiens arabes la représentent comme un foyer de lumières, comme le rendez-vous des savants de l'Espagne et de l'Afrique. Pendant la fin du XIIIe siècle et pendant les premières années du XIVe siècle, la vie de Tlemcen est remplie par des guerres : deux fois elle voit l'ennemi à ses portes; elle est prise et les Mérinides la gardent vingt-deux ans. Ces sultans mérinides élevèrent des monuments magnifiques à Mansourah, aux portes de Tlemcen, et non à Tlemcen même. D'ailleurs, les sultans Beni-Ziyan reprirent leur royaume en 1359, et eur premier soin fut de ruiner les constructions des Mérinides; c'est quelques années au moins après cette date que je placerai la fondation de la grande Medressa. »
Elle a été démolie en 1876 : c'était UNE RUINE qui séparait la place de l'Hôtel-de-Ville de la place des Caravanes; on l'a rasée pour réunir les deux places. Elle servait, en 1875, de MAGASIN MUNICIPAL.Sur l'enlèvement de ces fragments de mosaïque il est encore utile d'entendre l'ancien élève de l'École polytechnique, dont la méthode peut servir à des archéologues en présence de pareilles trouvailles : Ce dallage était déjà en fort mauvais état; un personnage dont j'ai oublié le nom, mais qui était en mission du ministère de l'Instruction publique, en dégrada une rosace de plus en voulant l'enlever. Le bâtiment était fort LAID, la démolition allait commencer, on essaya d'enlever un échantillon de la mosaïque. Peine perdue : on émiettait sans arriver à rien. Je fis proposer au conseil municipal d'essayer aussi, à condition qu'on me donnerait les fragments que je pourrais enlever. Je pris deux bons ouvriers munis d'outils de tailleur de pierres; je fis une tranchée autour des deux rosaces les plus complètes et les mieux conservées; je les enlevai avec les cinquante centimètres de béton qui les portaient et je les fis retailler par derrière pour en réduire l'épaisseur à des proportions transportables. Les membres du conseil municipal vinrent voir le résultat et reprirent le travail pour leur compte. On trouva que le travail au ciseau revenait trop cher, que j'avais payé les ouvriers trop largement : après avoir enlevé quelques fragments assez petits, on continua le travail à la pioche, puis à la mine. Bref, au bout de quelques jours tout était gâché et on en vint à regretter ce qu'on m'avait laissé emporter. Il n'existe donc plus de morceaux de cette mosaïque qu'au musée de Tlemcen, au musée d'Annecy, ville natale de M. Levet, et au Musée de Sèvres.
Malgré la pensée de certains hommes qui croient que les fragments de monuments doivent rester sur place, dussent-ils être exposés aux injures du temps et des hommes, je crois, au contraire, et il serait puéril d'insister, qu'il y a toute utilité à les recueillir et à les exposer dans les musées nationaux pour attirer l'attention des archéologues qui les fréquentent et les pousser à de nouvelles recherches. Ainsi il serait possible que le dallage en mosaïque de Tlemcen ne soit pas un travail unique; on doit en avoir trouvé des débris à Mansourah; peut-être en existe-t-il également à Tunis, à Kairouan et au Maroc; tels sont les points que me signale le capitaine Levet, points que j'indique aux chercheurs de bonne volonté.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire