mardi 4 août 2015



"ON A DU PÉTROL, ON A PAS BESOIN DE TAPIS"
D'après Ibn Khaldun, Tlemcen était jadis une des villes manufacturières du Maghreb. Ses tapis, ses cuirs étaient très renommés de même que les Haik et les burnous. La ville était connue pour ses tapis en haute laine et sa dinanderie (cuivre). À la fin du XVIème siècle, Ibn Zanbel note qu'à Tlemcen on travaille surtout «la laine et on en tire toute sorte de produits». Et MARMOL d'observer dans cette même fin de siècle que «les artisans sont gens simples et doux, qui se piquent de travailler poliment et de faire des ouvrages achevés. Il se fait là (à Tlemcen) des casaques, de riches tapis, des sayes et des mantes si fines qu'il s'en trouve qui pèsent pas dix onces». J. B. GRANIER relève au XVIIème siècle: ses habitants «sont presque tous tisserands et teinturiers». Et jusqu'au début de la conquête française, note en 1849 André COCHET, «la ville faisait venir du Sud 500 000 toisons annuellement et entretenait pour le lavage quatre grands lavoirs sans compter plusieurs bassins particuliers». Il semble bien que depuis le XVIème siècle le tissage dispute la première place au commerce dans l'organisation de la vie économique de la cité en perte de statut d'aire commerciale relais dans le circuit d'échange méditerranéen avec le Soudan Occidental.
Il y a quelques années seulement le tissage du tapis, était un artisanat en pleine expansion à Tlemcen, ses somptueux tapis en garnissaient le sol des plus belles demeures du monde. Il faut rappeler que le tissage du tapis était une activité féminine implantée à Tlemcen, il s'agissait principalement du tapis dit: « Le tapis au point noué main » dont seules les femmes de Tlemcen et sa région qui étaient réunies en coopérative des tisseuses de tapis traditionnel, avaient le secret. Comme indiquée sur la photo jointe et prise en 1951 lors d'une exposition, les tisseuses de tapis travaillaient de 13h à 18h et assuraient la confection d'un tapis qui rivalisait haut la main avec celui produit par l’Iran, l’Afghanistan, la Turquie, le Maroc pour ne citer que ces pays-là. Le savoir-faire était tout entier empirique, acquis au cours d'une longue période d'exercice du métier dont le processus d'appropriation passe par trois grandes phases: 1- L'apprentissage du métier, 2-L'accès aux «secrets» du métier. 3- L'innovation.
Il serait également judicieux de souligner avec force que le tapis de Tlemcen faisait face à ce phénomène de la contrefaçon au point où le tribunal de Stutgart a été saisi par des opérateurs de Tlemcen pour trancher une affaire de contrefaçon imitée par une firme pakistanaise portant atteinte au label tlemcénien. La splendeur et l’embellie du tapis de la capitale des Zianides culminaient durant le début des années 1970 avec l’exportation d’un niveau de 800 000 m vers l’Europe.
La production a connu une constante évolution entre 1962 et 1973, avant de commencer à chuter à partir de 1974. À titre illustratif, la production du tapis était de l’ordre de 102.476 mètres carrés en 1963 pour descendre, vingt ans après, à 1.000 m2 et atteindre le plus bas niveau en 1987 avec seulement 309 m2, selon des statistiques de la chambre de l’artisanat et des métiers de Tlemcen. Mais le coup de massue qui a sonné le glas du travail du tapis a été ressenti en 1971 lorsqu’un ministre de la République avait déclaré : «On a du pétrole, on n’a pas besoin du tapis», devant les revendications formulées par les professionnels du tapis qui réclamaient des allégements fiscales. Cette situation a démobilisé plus d’un et a provoqué une hémorragie du secteur. La plupart des patrons de ce secteur ont pris le chemin du Maroc où ils ont fait le bonheur de l’industrie et l’artisanat marocains.
Depuis, la production du tapis traditionnel, qui a toujours fait la réputation de Tlemcen, avait subi, durant les années 80, les répercussions négatives du développement de l’industrie manufacturière.La prédominance sur le marché local du tapis industriel, moins coûteux, et l’épanouissement social et le mode de gestion des coopératives de tissage ont été les autres facteurs ayant provoqué la régression de la production du tapis artisanal à Tlemcen et dans d’autres régions dont El Khemis (Beni Snouss), a-t-on rappelé. Aujourd’hui, l’acrylique a remplacé la pure laine et le tapis ressemble à ce produit génétiquement modifié qui n’intéresse plus personne.


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