mardi 10 mars 2015

L'INCROYABLE DESTIN DE "HACEN AL-WAZZANE OU "LEON L'AFRICAIN".
C’est à Grenade, dans les ruelles d’Albaicin, en 894 de l’hégire (1488), que naît Hassan al-Wazzan, al-Zayyati, al-Gharnati, al-Fassi, fils de Mohamed le peseur, circoncis de la main d’un barbier et baptisé de la main d’un pape: « On m’appelle le Grenadin, le Fassi, le Zayyati, mais je ne viens d’aucun pays, d’aucune cité, d’aucune tribu. Je suis le fils de la route, ma patrie est caravane, et ma vie la plus inattendue des traversées»
Enfant, ses parents lui content le lent déclin des califes andalous, affaiblis par les rivalités et les luttes incessantes, gangrenés par la corruption, endormis par les fêtes somptueuses, les Parades pompeuses et les banquets sans fins. Alors que les musulmans espagnols ne peuvent s’appuyer sur d’autres qu’eux-mêmes, les princes catholiques bénéficient de l’appui massif de toute la chrétienté, encouragée à combattre les maures par les papes romains. Au fils des ans, Gibraltar, Alhama, Ronda, Marbella, Malaga,… toutes villes conquises depuis l’avènement du Prophète, tombent l’une après l’autre. Et bientôt, Boabdil, le dernier calife de Grenade, maître de l’Alhambra, est chassé par les Castillans. La résistance grenadine est acharnée mais la reconquista s’achève, et l’Espagne est désormais sous la férule de Ferdinand d’Aragon et d’Isabelle de Castille, dite Isabelle la Catholique. Jamais plus l’Espagne ne sera musulmane. Nous sommes en 1492, Hassan n’a que 4 ans.
« Il a fait froid cette année-là sur Grenade, froid et peur, et la neige était noire de terre remuée et de sang. Qu’elle était familière, la mort, que l’exil était proche, que les joies du passé étaient cruelles au souvenir ! »
Exilé, Boabdil doit encore entendre ces mots peu fiers de sa propre mère, Fatima : « Pleure comme une femme ce royaume que tu n’a pas su défendre comme un homme ».
Fuyant Grenade et les persécutions qui s’annoncent, c’est à Fès qu’Hassan et sa famille trouvent refuge. Rejetés par un oncle qui juge dégradante la passion de son père Mohammed pour une esclave roumiyya —une chrétienne— Hassan et les siens s’installent dans une modeste demeure des faubourgs de Fès. Là, Hassan vivra une jeunesse heureuse, partagé entre l’étude de l’islam sous la tutelle de l’intransigeant Astaghfirullah, découverte des souks, espionnage des hammams de femmes avec son ami Haroun, et apprentissage des rudiments du métier de commerce avec son oncle Khâli, entre temps réconcilié.
Pour Haroun et moi, la découverte de Fès ne faisait que commencer. Nous allions la déshabiller voile après voile comme une mariée dans sa chambre de noces. De cette année-là, j’ai gardé mille souvenirs qui me ramènent, chaque fois que je les évoque, à la candeur insouciante de mes neuf ans."
Devenu adulte, Hassan s’aguerrit et, faisant fortune grâce à un tour malicieux du destin, devient bientôt l’un des plus riches commerçant de Fès. Déjà, il entame la construction d’un somptueux palais avec les meilleurs artisans du Royaume. Mais le Créateur ne semblait pas destiner Hassan à une vie tranquille de notable assagi. Et bientôt, les tribulations commençaient. Mais le destin est capricieux et semblait déterminé à ne pas laisser Hassan suivre son chemin : une fois encore, son histoire change de court. Débarqué à Djerba le temps d’une escale, il est enlevé à la femme qu’il aime : il ne la reverra plus jamais. Hassan a été capturé par des pirates siciliens, et c’est à Rome qu’il débarque, auprès du pape Léon X. "Mon ravisseur avait du renom et de pieuses frayeurs. Pietro Bovadiglia, vénérable pirate sicilien, déjà sexagénaire, mainte fois meurtrier et redoutant de rendre l’âme en état de rapine, avait éprouvé le besoin de réparer ses crimes par une offrande à Dieu. Ou plutôt par un cadeau à Son représentant sur cette rive de la Méditerranée. Léon le dixième, souverain et pontife de Rome, commandeur de la chrétienté. Le cadeau, c’était moi, présenté avec cérémonie le dimanche 14 février pour la fête de la saint Valentin."
Nouvelle ville, nouvelle culture, nouvelle religion : baptisé par le pape qui le prend sous sa protection, Hassan le lettré prend le nom de son bienfaiteur et devient Jean-Léon de Médicis dit Léon l’Africain, le maure voyageur. En Italie, il vit des années riches en découverte : la renaissance italienne bat son plein et à Rome, Raphaël côtoie Michel-Ange, Sixtine se construit, témoin de leur génie. Partout des sculpteurs, des peintres, des poètes, des ambassadeurs, des perles et des plaisirs, et tous les protégés du pape. A Rome, Jean-Léon grandit. Il y trouve une femme, présenté par le cousin du pape, le cardinal Jules. Elle s’appelle Maddalena.
"Elle avait, sur toutes les femmes de Rome, une langueur d’avance. Langueur dans la démarche, dans la voix, dans le regard aussi, à la fois conquérant et résigné à la souffrance. Ses cheveux étaient de ce noir profond que seule l’Andalousie sait distiller, par une alchimie d’ombre fraîche et de terre brûlée. En attendant de devenir ma femme, elle était déjà ma sœur, sa respiration m’était familière."
Le jeune Andalou met sa science au service du pape. Il apprend le turc, le latin, le catéchisme et la langue hébraïque, donne des cours d’arabe, et surtout, commence la rédaction de son grand livre, pour lequel il restera dans l’Histoire : Description de l’Afrique, où il met à l’écrit son immense expérience de voyage, celle des peuples d’Afrique et d’Orient. Ce livre, écrit en italien, restera quatre siècle en Occident une référence essentielle pour la compréhension du continent noir. A près de 40 ans, sa vie est douce, et Léon l’Africain n’a rien d’un prisonnier.

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